- TONUS MUSCULAIRE
- TONUS MUSCULAIRELorsque, chez un Vertébré vigile ou faiblement anesthésié, on observe un muscle squelettique dans sa situation anatomique normale, en préservant l’intégrité de ses connexions nerveuses et tendineuses, on constate que sa consistance n’est pas flacide, molle, mais ferme et élastique, et qu’il ne se laisse pas étirer sans qu’apparaisse une résistance. Ces caractères disparaissent totalement s’il est isolé de l’organisme, ou si, en le laissant en place, on sectionne les fibres nerveuses qui y parviennent, ou si l’on détruit la moelle épinière de l’animal. Cet état de tension légère et cette résistance à l’étirement d’un muscle possédant l’intégrité de ses connexions tendineuses et nerveuses portent le nom de tonus musculaire . L’expérimentation montre que ce dernier est dû à la présence d’une activité contractile au sein d’un certain nombre des unités motrices qui le constituent, activité dont le maintien est assuré et contrôlé par l’ensemble des centres nerveux, mais où la moelle tient une place primordiale.Le tonus musculaire est d’une extrême importance et forme en quelque sorte la «toile de fond» des activités motrices et posturales, préparant le mouvement, fixant l’attitude, sous-tendant le geste, maintenant la statique et l’équilibre. L’importance de son rôle a pour contrepartie une très grande complexité de son organisation et de son contrôle, pour lesquels, sans trop exagérer, on peut dire qu’intervient l’ensemble des structures nerveuses centrales. Il constitue de ce fait une excellente illustration du fonctionnement global du système neuromusculaire, chaque structure retentissant sur le niveau d’excitabilité des autres formations par des systèmes de «contre-réaction» positifs ou négatifs selon la nature, excitatrice ou inhibitrice, de la réponse.1. Les facteurs du tonus musculaireL’hétérogénéité du tissu musculaire striéUne observation extérieure de la « contraction tonique» d’un muscle fait ressortir un certain nombre de caractéristiques qui n’avaient pas manqué de frapper les premiers observateurs. Elle leur était apparue en effet comme un phénomène soutenu, lent et à faible consommation énergétique, s’opposant ainsi à la «contraction phasique rapide», grande consommatrice d’énergie dans un temps relativement très court. Cette opposition avait incité dès la fin du siècle dernier certains physiologistes, tel Botazzi, à attribuer à des éléments structuraux différents de la fibre musculaire la responsabilité du caractère phasique ou tonique de sa contraction.Cette hypothèse est, bien sûr, aujourd’hui totalement abandonnée, mais, si le tonus est une propriété commune à tous les muscles, il n’en est pas moins vrai que le fonctionnement de certains d’entre eux est de type plutôt «tonique», alors que pour d’autres il est plutôt «phasique», cette distinction reposant sur les proportions relatives de fibres de type différent dans chaque muscle.Dès 1873, Ranvier avait montré que, chez le lapin, les muscles de couleur pâle (muscles blancs) avaient une contraction rapide et fatigable, alors que ceux de teinte foncée (muscles rouges) se contractaient plus lentement et de façon plus soutenue. Les recherches ultérieures allaient établir que cette distinction avait pour support toute une série de différences dans les propriétés structurales, biochimiques, mécaniques des fibres musculaires rouges et blanches. Elles montraient aussi que dans d’autres espèces de mammifères que le lapin, et en particulier chez les primates et l’homme, aucun muscle n’était totalement phasique ou tonique, mais que chacun contenait des fibres de l’un ou de l’autre type en proportions variables.On admet, à la suite des travaux de Edström et Kugelberg, que les fibres musculaires striées peuvent finalement se répartir en trois groupes selon leur vitesse de contraction et leur fatigabilité: «rapide-fatigable», «rapide-peu fatigable» et «lent». Le caractère globalement «tonique» ou «phasique» d’un muscle repose sur les proportions respectives de ces trois types de fibres en son sein.Deux autres notions importantes se sont également dégagées à propos des mécanismes du tonus. La première est la découverte de l’homogénéité des fibres (lentes, rapides...) composant chaque unité motrice (rappelons que celle-ci se définit comme l’ensemble des fibres musculaires commandées par un seul motoneurone). La seconde réside dans le fait que c’est le motoneurone qui, au cours du développement de l’organisme, détermine le type des fibres musculaires qu’il innerve et que diverses procédures expérimentales peuvent modifier celui-ci en faisant innerver l’unité motrice par un motoneurone autre que celui qui lui était destiné.Le contrôle médullaire du tonusL’expérience banale qui consiste par section du nerf moteur à supprimer la tonicité d’un muscle montre bien que celle-ci est sous la dépendance du système nerveux central. On est certain aujourd’hui que le tonus d’un muscle au repos résulte d’une décharge d’influx émis par quelques motoneurones, ce qui amène la mise en jeu des unités motrices correspondantes. Il en résulte une faible tension mécanique due à l’activation asynchrone des fibres de celles-ci. Les propriétés visco-élastiques du tissu musculaire vont ici intervenir pour «fondre» en quelque sorte les petites secousses en une tension continue.Cependant, si tout le monde s’accorde sur ce mécanisme, un problème reste posé. On ne sait pas encore exactement quelles sont les parts respectives de chaque type de fibres musculaires, donc de chaque unité motrice, dans ce «tonus global de repos».Une autre expérience, également très simple, consiste à sectionner non plus le nerf moteur d’un muscle mais un certain nombre de racines rachidiennes postérieures convenablement choisies. Il en résulte également la disparition de tout tonus dans le groupe musculaire correspondant. Les racines rachidiennes postérieures ne contenant que des axones sensitifs, l’effet de leur section met en évidence l’origine réflexe du tonus.Le modèle et la nature de celle-ci doivent être recherchés dans le réflexe d’étirement, ou stretch reflex de C. S. Sherrington, ou réflexe myotatique.Composantes périphériques du réflexe d’étirementLe fuseau neuro-musculaireLe point de départ et l’élément récepteur du réflexe d’étirement résident dans le muscle lui-même.De place en place, au sein des fibres musculaires striées banales à rôle uniquement contractile, se trouvent des fibres musculaires spéciales, plus courtes et plus fines, généralement rassemblées en petits paquets dans une gaine conjonctive commune, formant ainsi la structure appelée «fuseau neuro-musculaire». Leurs extrémités ne sont pas insérées sur les tendons mais sur les aponévroses cloisonnant le muscle.Chaque fibre musculaire fusoriale (fig. 1) montre une discontinuité dans sa partie équatoriale. À ce niveau, la fibrillation disparaît, et il vient s’y enrouler une fibre nerveuse sensitive myélinisée de fort diamètre (fibre annulo-spirale IA). Cette portion centrale est riche en noyaux sarcoplasmiques formant soit un amas renflé (fibres fusoriales à «bague nucléaire»), soit une zone allongée de condensation nucléaire (fibres fusoriales à chaîne nucléaire).De part et d’autre de cette région spécialisée existent d’autres terminaisons nerveuses. Certaines sont à rôle également sensitif, et dénommées terminaisons «secondaires en bouquet»; elles sont plus abondantes sur les fibres à chaîne nucléaire. D’autres sont motrices, ce sont les fibres gamma ( 塚), axones myélinisés de petit diamètre (de 4 à 8 猪m) issus de motoneurones médullaires spéciaux, les motoneurones 塚. L’activité de ces fibres entraîne le raccourcissement de la partie striée des fibres musculaires fusoriales.Chaque fuseau neuro-musculaire contient en moyenne deux ou trois fibres «à bague» pour trois à cinq fibres «à chaîne», formant ainsi une sorte d’«unité proprioceptive».Les fibres sensitives annulo-spirales de fort diamètre (de 12 à 18 猪m), comme les fibres secondaires plus fines (de 6 à 10 猪m) donnant les terminaisons en bouquet, se rassemblent en un tronc commun avec les fibres motrices, puis gagnent le nerf musculaire et enfin les racines rachidiennes postérieures pour aboutir aux cornes dorsales de la moelle. Elles s’y terminent sur les neurones de la colonne de Clarke après avoir détaché une collatérale qui vient faire synapse sur les motoneurones des cornes antérieures, dont l’activité entraîne la contraction du muscle d’où proviennent ces mêmes fibres sensitives.Le système gammaLe stimulus spécifique du fuseau neuro-musculaire est son étirement. Ce dernier peut être soit passif, comme il en est par exemple lors de la percussion du tendon rotulien du quadriceps fémoral, soit actif lorsqu’il est produit par la contraction des parties striées des fibres fusoriales, comme nous le verrons plus loin.Dans les deux cas, la traction stimule les terminaisons annulo-spirales et en bouquet, y faisant naître des influx nerveux qui, remontant jusqu’à la moelle, viendront par la voie des collatérales, précédemment décrites, exciter les motoneurones du même muscle, d’où la contraction en réponse de certaines unités motrices de celui-ci.Dans les conditions anatomo-physiologiques habituelles, les fuseaux neuro-musculaires d’un muscle donné sont toujours soumis à une légère tension passive d’intensité variable, en raison du jeu des articulations auxquelles le muscle s’insère. Par ailleurs, les motoneurones 塚, comme l’ont montré en particulier R. Granit, C. C. Hunt, P. B. C. Matthews, L. Leksell, S. W. Kuffler, émettent continuellement des influx qui provoquent le raccourcissement actif des fibres musculaires intrafusoriales. Les terminaisons sensibles de celles-ci sont donc continuellement stimulées, entraînant par voie de conséquence la contraction réflexe d’un certain nombre d’unités motrices.Ainsi se trouve réalisé, par le jeu complexe de ce que l’on appelle souvent la «boucle 塚» (fig. 2), le léger degré de contraction soutenue répondant à la définition du «tonus musculaire».2. L’intégration de l’activité toniqueNous venons de voir que l’activité des motoneurones 塚 est un élément fondamental du tonus musculaire, mais ces éléments sont eux-mêmes sous le contrôle de tout un ensemble de structures nerveuses centrales, à commencer par la moelle elle-même.Régulation médullaire de l’activité gammaLes mécanismes jusqu’ici exposés pourraient suffire en principe à rendre compte pour l’essentiel de l’entretien du tonus musculaire. En effet, les motoneurones 見 qui innervent les fibres musculaires extrafusoriales sont sans cesse soumis, comme nous l’avons vu, à un bombardement facilitateur trouvant son origine dans l’activité des afférences intrafusoriales; mais d’autres influences, également intramédullaires, interviennent pour moduler l’activité tonique des motoneurones 見.On sait en effet que, en plus des mécanismes suprasegmentaires destinés à empêcher «l’emballement» de ceux-ci, il existe des systèmes inhibiteurs intraspinaux dont le rôle est de freiner leur émission tonique.Cette inhibition est alimentée par le fonctionnement des motoneurones eux-mêmes et constituée par le système des collatérales récurrentes et des interneurones inhibiteurs dits de Renshaw. Ces interneurones exercent une influence freinatrice puissante sur les motoneurones 見 qui les activent, inhibition dont le décours et les caractères ont été particulièrement étudiés par Eccles et ses collaborateurs et dont R. Granit a souligné le rôle fonctionnel.À ce système, on doit ajouter de nombreux autres éléments périphériques qui agissent également au niveau médullaire et qui contribuent pour une part éventuellement importante à l’entretien et à la régulation du tonus musculaire.On citera tout d’abord les organes tendineux de Golgi qui possèdent une action inhibitrice directe sur l’arc réflexe fusorial engageant le muscle homonyme ou synergique (réflexe d’allongement ou réflexe myotatique inverse); le seuil de cette inhibition est beaucoup plus élevé que celui du réflexe fusorial, et ses effets sur la régulation de tonus musculaire ne sont pas encore clairement précisés. Les récepteurs cutanés, articulaires (des ligaments et capsules), outre leur rôle somesthésique ou kinesthésique propre, les récepteurs profonds des membranes interosseuses, les terminaisons intramusculaires, dont les afférences de petit diamètre qui sont issues sont rassemblées dans le groupe III des fibres des nerfs musculaires (d’après la nomenclature de Lloyd), les récepteurs viscéraux eux-mêmes paraissent susceptibles, comme le montrent certains résultats expérimentaux, d’exercer toute une gamme d’influences facilitatrices et inhibitrices sur le tonus musculaire, et cela par des mécanismes synaptiques médullaires encore mal connus.Régulation supramédullaireLe contrôle exercé par les structures centrales sur les systèmes régulateurs et effecteurs du tonus musculaire à l’échelon médullaire confère à ceux-ci une souplesse de fonctionnement et une faculté d’adaptation permanente aux exigences de la posture, du geste et du comportement vis-à-vis du milieu extérieur.Cette influence a pour point d’impact essentiel le motoneurone 塚. Certes, les motoneurones 見 subissent également une emprise directe de la part des structures centrales, mais les modalités de cette action demeurent encore assez obscures.La plupart de ces formations sont impliquées dans ce contrôle, et l’on peut dire avec Granit: «Toute structure centrale participant à l’élaboration ou au contrôle du mouvement exerce sur le système 塚 une influence inhibitrice ou facilitatrice. Cette multiplicité du contrôle s’explique par la propriété qu’ont les motoneurones 塚 de présenter un seuil d’excitation très bas, à condition qu’une stimulation répétitive leur soit appliquée.» C’est donc essentiellement les actions centrales supramédullaires qui seront ici envisagées. Sans entrer dans le détail de ces organisations particulièrement complexes, il faut indiquer que:– La stimulation des récepteurs articulaires des segments cervicaux de la colonne vertébrale par rotation de la tête entraîne une activation importante des motoneurones 塚 (donc une augmentation du tonus) dans les extenseurs.– L’appareil vestibulaire [cf. ÉQUILIBRATION], détecteur de toutes les variations de position de la tête, influence de façon particulièrement évidente l’émission des neurones 塚, modifiant la tonicité des divers groupes musculaires du tronc et des membres et ajustant celle-ci en fonction de la position prise par le corps dans l’espace.– Le cervelet constitue également un centre essentiel dans la régulation tonique, son influence s’exerce à la fois sur les motoneurones 見 et 塚 et intervient de façon spectaculaire dans la régulation tonique fine nécessaire à l’exécution correcte du mouvement volontaire. Cette action cérébelleuse est facilement perçue dans le syndrome cérébelleux tel qu’il est observé chez l’homme, et dans lequel tremblement et dysmétrie s’associent à une hypotonicité musculaire.– Diverses structures mésencéphaliques (noyau rouge en particulier) et diencéphaliques (certains noyaux du thalamus dorsal), liées par ailleurs étroitement entre elles ainsi qu’avec le cervelet [cf. TRONC CÉRÉBRAL] et constituant des boucles de rétroaction complexe, se sont aussi révélées modifier profondément l’activité des motoneurones 塚.– Les noyaux gris centraux télencéphaliques (corps striés) et le cortex cérébral lui-même se sont également montrés d’importants éléments de contrôle de l’émission des motoneurones 塚, comme l’ont mis en évidence R. Granit et B. R. Kaada dans leurs expériences de stimulation de l’aire motrice corticale [cf. HÉMISPHÈRES CÉRÉBRAUX].– L’ensemble de la formation réticulaire du tronc cérébral enfin, recevant et intégrant aussi bien les informations sensorielles et sensitives périphériques que celles qui proviennent des divers centres qu’on vient d’indiquer rapidement, constitue un des lieux privilégiés du système nerveux central en ce qui concerne le contrôle tonique musculaire par son action tantôt facilitatrice, tantôt inhibitrice sur la boucle 塚.3. Activité tonique et vie de relationCe rapide survol de la régulation supramédullaire du tonus musculaire conduit à formuler quelques remarques d’ordre général:– Toutes les structures cérébrales capables d’influencer l’activité motrice peuvent moduler l’excitabilité des motoneurones 塚, points d’impact de la régulation tonique.– La formation réticulaire semble représenter la voie finale commune de l’ensemble des systèmes de contrôle cérébral, intégrant toutes les informations et synthétisant les actions fondamentales du système nerveux.– Les formations nerveuses jouant un rôle dans l’activité comportementale de l’individu sont susceptibles d’influencer le tonus musculaire.– Les fluctuations du niveau de vigilance ont un reflet indiscutable au niveau des fuseaux neuromusculaires, et l’on peut parler d’une régulation à la fois spécialisée et diffuse du tonus neuromusculaire: spécialisée lors de la préparation d’un acte moteur précis, diffuse lors de la mise en éveil de l’ensemble de l’appareil effecteur par une augmentation de la tension psychique du sujet [cf. SOMMEIL-RÊVE-ÉVEIL (CYCLE)]. La liaison psychosomatique est ici particulièrement bien mise en évidence.– La plupart des systèmes récepteurs participent au maintien du tonus en renseignant sur l’état des systèmes effecteurs à un moment donné. Leurs «messages» ne parviennent cependant pas sous leur forme primaire au niveau des systèmes d’intégration, car ils ont déjà subi un contrôle de la part de ces mêmes systèmes. Les modalités de ce contrôle semblent réglées par l’état physique des structures au moment de la réception du message intérieur ou extérieur.Il est impossible de rendre responsable un seul système régulateur d’une modification tonique, car sa défaillance entraîne un déséquilibre complexe de la régulation de la tonicité, à la fois dans le contrôle du réseau d’information et dans l’intensité de la contre-réaction qu’appliquent normalement les autres structures régulatrices sur la structure lésée.
Encyclopédie Universelle. 2012.